Lettre mensuelle aux membres de la Confrérie (25 décembre 2017)
« Noël ! Noël ! » C’est par ce cri naïf que les Français saluaient l’arrivée de leurs rois au sein de leurs cités et de leurs provinces, en souvenir du jour-anniversaire où la France avait été engendrée à la foi. C’est que « Noël est devenu signe de l’unité française »[1] en marquant de son rayonnement le destin religieux et national de la France.
La France est née à Noël
La vocation de la France s’est en effet décidée au jour de la fête de la Nativité de Notre-Seigneur de l’an 496, en ce baptistère de Reims où Clovis devint fils de Dieu et de Son Église avec ses quelque 3.000 compagnons de guerre. « Courbe la tête, fier Sicambre, abaisse humblement ton cou », lui dit alors S. Remi[2], faisant le lien avec la fête liturgique de ce jour : comment ne t’inclinerais-tu pas devant Celui qui s’abaisse en partageant aujourd’hui notre misère ?
Il n’y avait pas qu’un symbolique parallélisme entre la naissance temporelle de Jésus-Christ et la naissance spirituelle des Francs : dans cette rencontre, un pacte était signé qui engagerait pour toujours la France à soutenir le règne d’idéal inauguré par le divin Enfant de Bethléem. Ainsi devait l’interpréter la Loi salique, en des acclamations triomphales dignes de cette première et la plus noble de toutes nos chartes : « Vive le Christ qui aime les Francs ! Qu’Il garde leur royaume, qu’Il remplisse leurs chefs de la lumière de Sa grâce, qu’Il protège leur armée, qu’Il leur accorde l’énergie de la foi, qu’Il leur concède par Sa clémence, Lui, le Seigneur des seigneurs, les joies de la paix et des jours pleins de félicité ».
Souhaits jamais mieux réalisés ni programme mieux accompli que par Charlemagne, comme le signifiera encore l’Étoile de Noël illuminant le sacre de l’an 800 à Rome. De tous les rois venus s’agenouiller devant la Crèche, nul plus que le conquérant à « la barbe fleurie » ne pouvait abaisser tant de gloire devant la Petitesse divine. Protecteur de la sainte Église de Dieu, le saint pape Léon III le couronna « Empereur des Romains », Imperator Romanorum, dans la triple tradition : biblique, avec pour modèle David, exemplaire du roi sacré dans l’Ancien testament ; impériale, marquée par la personnalité d’Auguste, premier empereur romain ; et chrétienne, incarnée par celle de Constantin, premier empereur chrétien.
Le roi de France : l’« Emmanuel temporel »
Le cri de Noël ! Noël ! au sacre du roi de France renvoie également au pouvoir délégué que celui-ci tient de Notre-Seigneur. Par cette référence, la foule rendait hommage au divin Emmanuel (« Dieu avec nous ») qu’elle croyait voir présent dans le roi-lieutenant, « tenant-lieu » de Dieu dans la sphère temporelle. L’on comprend alors que la Nativité ait été une fête privilégiée pour nos Rois : baptême de Clovis (496), couronnement comme empereur d’Occident de Charlemagne (800) tout comme son petit-fils Charles le Chauve (875), sacre de Robert II le Pieux (987).
Si « toute autorité vient de Dieu » (Rom. 13, 1), comme d’ailleurs toute paternité (cf. Éph. 3, 15), combien plus manifeste l’est l’autorité royale en France, détenue par le « père » des Français. Si dans la Personne du Christ, « Son pouvoir royal repose sur cette admirable union [entre la nature divine et la nature humaine] qu’on appelle l’union hypostatique »[3], ce pouvoir est sur terre délégué : dans le domaine spirituel, au Souverain-Pontife sur toute l’Église ; dans le domaine temporel, au Souverain-Roi sur tout la France.
La cérémonie du sacre vient investir par grâce le roi désigné par les lois fondamentales du Royaume des lys du pouvoir détenu par nature par le Seigneur du Royaume des Cieux. Sacrement d’institution ecclésiastique, le sacre est destiné à « faire » le roi de France, comme l’Ordre, sacrement d’institution divine, « fait » les évêques et les prêtres. Le sacre est alors pour le roi-vassal le serment solennel d’être fidèle à maintenir la lettre et l’esprit de la loi constitutionnelle donnée à la France par le « Souverain Droiturier »[4]. La lettre, c’est la loi chrétienne ; l’esprit, c’est celui de Notre-Seigneur Lui-même. Qu’on lise le Pontifical : on y trouvera que le Prince n’est sacré que pour faire régner le droit chrétien : inviolable justice pour tous, protection particulière des faibles et des petits.
À l’école de Noël
Grâce à Noël, c’est dès lors tradition française d’unir vaillance et charité, de mettre l’épée au service de la faiblesse. Tradition française encore d’unir joie et héroïsme, comme en offre la légendaire épée du grand Charlemagne, appelée du beau nom de Joyeuse : « C’est la joie, en effet, écrit Joseph Bédier, que respirent les chevaliers, la joie hautaine d’avoir librement accepté leur tâche et d’aimer la gloire, celle que l’on conquiert au service d’une juste cause et dont on jouit sur terre, puis au Paradis en fleurs, parmi les Innocents ».
Le même cri éclate, triomphal, au-devant de la Libératrice, à Orléans comme à Reims. Devant cette allégresse, Jeanne songeait que l’Étoile de Noël l’avait conduite tout au long de sa glorieuse chevauchée jusqu’à l’apothéose dans le même temple d’où « la douce France » était sortie chrétienne. Sainte Jeanne d’Arc, le Docteur de la Royauté sociale du Christ, n’était-elle pas née le jour de la fête de l’Épiphanie (1412), où les Mages viennent adorer le Roi des rois ?
La paix de Noël
Les Noëls populaires rappellent à leur tour le lien qui unit la France à la Naissance du Christ : « Faisons réjouissance et prions Dieu, hiver, été, pour le roi de France » dit un poème, ou, comme le chante Jean Daniel terminant l’un de ses Noëls ainsi dédié à François Ier : « Supplions Dieu, tous pauvres indigents, Que bonne paix veuille en France réduire, Qu’au noble roy François aucun ne puisse nuire, et à la fin pardonne aux négligents ».
La paix : voilà ce qu’on implore avec véhémence auprès du berceau du Dieu, en apparence de faiblesse, mais déjà tout-puissant. Le magnifique Noël de la paix s’adresse au « divin Enfançon » pour lui demander : « La paix, ô Dieu, mon espérance, la paix au doux pays de France, donnez la paix ! ». C’est que le « Prince de la Paix » (Is. 9, 6) n’est pas encore « venu apporter l’épée » (Mt 10, 34) mais la paix. À la bienheureuse minuit, les Anges eux-mêmes ne chantent-ils pas de leurs voix mélodieuses : « Paix sur la terre ! » ? Et un peu plus tard, l’admirable hymne Crudelis Herodes des Vêpres de l’Épiphanie viendra rassurer ceux qui pourraient craindre pour leur trône bien établi : « Cruel Hérode ! Pourquoi crains-tu l’arrivée d’un Dieu-Roi ? Il ne ravit pas les sceptres mortels Celui qui donne le Royaume céleste ! ».
La reine Anne d'Autriche & le dauphin Louis
Il faut aussi se rappeler que c’est à l’Enfant-Jésus que la France s’adressa pour que le lys royal eût le rejeton tant désiré durant la stérilité d’Anne d’Autriche : elle alla prier Notre-Dame de la Crèche au Val-de-Grâce, et promit d’élever en ce lieu « un temple magnifique à Jésus naissant et à la Vierge-Mère : Jesu nascenti Virginique Matri », si la Sainte Vierge et son divin Fils lui accordaient un héritier. Après 23 ans de mariage infécond naîtra alors Louis-Dieudonné, Quatorzième du nom (1638).
La Crèche a cependant des assises plus stables que les trônes. À la Révolution, si la dynastie royale est livrée, la fête de Noël, elle, est sauvée : malgré les défenses de la Commune et après courageuses protestations, les Parisiens purent « messer effrontément » à l’heure de minuit dans divers quartiers l’an 1792 ; cette fidélité s’affichait trois mois après les boucheries de septembre et moins d’un mois avant le martyre de Louis XVI.
C’est qu’il n’était pas facile de déraciner un culte implanté chez nous depuis les origines, une fête qui est à l’origine-même de la France et qui s’épanouit dans l’allégresse de rites familiaux, de chansons et de coutumes régionales. Coutumes et chants, se répétant à peu près semblables et avec la même vogue à travers nos provinces, ont contribué à maintenir l’unité de la foi et renforcé le lien entre les terroirs, le sens de la communion et de l’entente sociale. Noël a fait l’accord parfait de tous, des petits et des grands, dans leur gratitude envers Celui dont le règne est d’une fraternité plus vraie que la devise républicaine. Même ceux qui pensèrent en avoir fini avec les bigoteries ont senti se réveiller, aux carillons de minuit, sinon la foi, du moins la conscience de ce que notre civilisation doit à Noël.
Les 3 convertis de Noël
Pour finir avec « la magie de Noël », rappelons-nous combien Dieu aime à toucher les cœurs de façon privilégiée dans la nuit de la Nativité, comme cadeau qu’Il se plaît à offrir le jour de son propre anniversaire. En une seule nuit, à la Noël 1886, trois destins vont basculer. Après la Messe de Minuit à la cathédrale de Lisieux, Thérèse Martin, âgée de 13 ans, renonce à son égocentrisme puéril. Quant à l’aventurier Charles de Foucauld, deux mois après sa conversion en l’église Saint-Augustin à Paris, il exulte dans l’adoration émerveillée de ce Dieu qui se fait homme « dans l’abjection et l’obscurité » et qu’il n’aura de cesse d’imiter. Ce même 25 décembre, le jeune écrivain agnostique Paul Claudel devient soudain catholique en assistant aux vêpres chantées à Notre-Dame de Paris.
La première est devenue « la plus grande sainte des temps modernes » (S. Pie X) et docteur de l’Église ; le deuxième fut déclaré bienheureux en 2005 par le pape Benoît XVI et le sang de son martyre ne cesse d’irriguer nos déserts spirituels ; le troisième est l’un des plus grands poètes chrétiens. Maîtres spirituels chacun à sa façon, ils nous racontent eux-mêmes cet instant unique où leur vie a été transformée pour toujours ; ils nous livrent aussi quelques conditions d’une authentique conversion et que favorise le Temps de Noël qui vient de s’ouvrir : accepter de s’agenouiller, se recentrer sur Dieu et Le désirer davantage, nourrir notre flamme intérieure, ne jamais désespérer de la grâce.
Après d’aussi retentissantes conversions, n’est-on pas en droit d’espérer la conversion de notre bien-aimée France ? Croyons-y, chers Amis : la grâce de Noël a su tant de fois retourner les cœurs en un seul instant ! Le Très-Haut qui s’est fait Très-Bas cette nuit-là n’est-Il pas capable de relever la France tombée si bas pour l’élever à sa haute vocation ?
L’amour est ce qui donne du prix aux choses ; la Nativité est elle-même l’œuvre d’amour par excellence parce que dans l’Incarnation se réalise la mission invisible la plus grandiose du Saint-Esprit. C’est pourquoi Mauriac n’a pas eu tort d’écrire que « Noël est la nuit où la charité est née, et qu’aucune révolution ne pourra plus faire de ce monde un monde sans amour »[6]. Qu’en cette nuit de Noël où l’Amour nous est né, soient ravivés notre amour pour l’Enfant-Dieu, notre amour pour la France, notre amour pour son Roi. Sainte fête de Noël à tous !
R.P. Clément de Sainte-Thérèse +
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