Eglise
8 décembre
"A la fin, mon Coeur immaculé triomphera !"
S'il est bien une fête d'actualité, c'est celle de l'Immaculée Conception, par le besoin qu'ont la Sainte Eglise et le monde de son intervention maternelle et surnaturelle !
Pour la célébrer comme il convient, méditons ce que nous en dit le Maître de l'esprit liturgique, Dom Prosper Guéranger, en son Année liturgique :
Enfin, l’aurore du Soleil tant désiré brille aux extrémités du ciel, tendre et radieuse. L’heureuse Mère du Messie devait naître avant le Messie Lui-même ; et ce jour est celui de la Conception de Marie. La terre possède déjà un premier gage des célestes miséricordes ; le Fils de l’homme est à la porte. Deux vrais Israélites, Joachim et Anne, nobles rejetons de la famille de David, voient enfin, après une longue stérilité, leur union rendue féconde par la toute-puissance divine. Gloire au Seigneur qui s’est souvenu de ses promesses, et qui daigne, du haut du ciel, annoncer la fin du déluge de l’iniquité, en envoyant à la terre la blanche et douce colombe qui porte la nouvelle de paix !
La fête de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge est la plus solennelle de toutes celles que l’Église célèbre au saint temps de l’Avent ; et s’il était nécessaire que la première partie du Cycle présentât la commémoration de quelqu’un des Mystères de Marie, il n’en est aucun dont l’objet pût offrir de plus touchantes harmonies avec les pieuses préoccupations de l’Église en cette mystique saison de l’attente. Célébrons donc avec joie cette solennité ; car la Conception de Marie présage la prochaine Naissance de Jésus.
L’intention de l’Église, dans cette fête, n’est pas seulement de célébrer l’anniversaire de l’instant fortuné auquel commença, au sein de la pieuse Anne, la vie de la très glorieuse Vierge Marie ; mais encore d’honorer le sublime privilège en vertu duquel Marie a été préservée de la tache originelle que, par un décret souverain et universel, tous les enfants d’Adam contractent au moment-même où ils sont conçus dans le sein de leurs mères. La foi de l’Église catholique que nous avons entendu solennellement reconnaître comme révélée de Dieu-même, au jour à jamais mémorable du huit décembre 1854, cette foi qu’a proclamée l’oracle apostolique, par la bouche de Pie IX, aux acclamations de la Chrétienté tout entière, nous enseigne qu’au moment où Dieu a uni l’âme de Marie qu’Il venait de créer au corps qu’elle devait animer, cette âme à jamais bénie, non seulement n’a pas contracté la souillure qui envahit à ce moment toute âme humaine, mais qu’elle a été remplie d’une grâce immense qui l’a rendue, dès ce moment, le miroir de la sainteté de Dieu-même, autant qu’il est possible à un être créé.
Une telle suspension de la loi portée par la justice divine contre toute la postérité de nos premiers parents était motivée par le respect que Dieu porte à Sa propre sainteté. Les rapports que Marie devait avoir avec la divinité-même, étant non seulement la Fille du Père céleste, mais appelée à devenir la propre Mère du Fils, et le Sanctuaire ineffable de l’Esprit-Saint, ces rapports exigeaient que rien de souillé ne se rencontrât, même un seul instant, dans la créature prédestinée à de si étroites relations avec l’adorable Trinité ; qu’aucune ombre n’eût jamais obscurci en Marie la pureté parfaite que le Dieu souverainement saint veut trouver même dans les êtres qu’Il appelle à jouir au ciel de Sa simple vue ; en un mot, comme le dit le grand Docteur saint Anselme : « Il était juste qu’elle fût ornée d’une pureté au-dessus de laquelle on n’en puisse concevoir de plus grande que celle de Dieu même, cette Vierge à qui Dieu le Père devait donner Son Fils d’une manière si particulière que Ce Fils deviendrait par nature le Fils commun et unique de Dieu et de la Vierge ; cette Vierge que le Fils devait élire pour en faire substantiellement Sa Mère, et au sein de laquelle l’Esprit-Saint voulait opérer la conception et la naissance de Celui Dont Il procédait Lui-même » (De Conceptu Virginali. Cap. XVIII).
En même temps, les relations que le Fils de Dieu avait à contracter avec Marie, relations ineffables de tendresse et de déférence filiales, ayant été éternellement présentes à Sa pensée, elles obligent à conclure que le Verbe divin a ressenti pour cette Mère qu’Il devait avoir dans le temps, un amour d’une nature infiniment supérieure à celui qu’Il éprouvait pour tous les êtres créés par Sa puissance. L’honneur de Marie Lui a été cher au-dessus de tout, parce qu’elle devait être Sa Mère, qu’elle l’était même déjà dans Ses éternels et miséricordieux desseins. L’amour du Fils a donc protégé la Mère ; et si celle-ci, dans son humilité sublime, n’a repoussé aucune des conditions auxquelles sont soumises toutes les créatures de Dieu, aucune des exigences même de la loi de Moïse qui n’avait pas été portée pour elle, la main du Fils divin a abaissé pour elle l’humiliante barrière qui arrête tout enfant d’Adam venant en ce monde, et lui ferme le sentier de la lumière et de la grâce jusqu’à ce qu’il ait été régénéré dans une nouvelle naissance.
Le Père céleste ne pouvait pas faire moins pour la nouvelle Ève qu’Il n’avait fait pour l’ancienne, qui fut établie tout d’abord, ainsi que le premier homme, dans l’état de sainteté originelle où elle ne sut pas se maintenir. Le Fils de Dieu ne devait pas souffrir que la femme à laquelle Il emprunterait Sa nature humaine eût à envier quelque chose à celle qui a été la mère de prévarication. L’Esprit-Saint, qui devait la couvrir de Son ombre et la rendre féconde par Sa divine opération, ne pouvait pas permettre que Sa Bien-Aimée fût un seul instant maculée de la tache honteuse avec laquelle nous sommes conçus. La sentence est universelle ; mais une Mère de Dieu devait en être exempte. Dieu auteur de la loi, Dieu Qui a posé librement cette loi, n’était-Il pas le maître d’en affranchir celle qu’Il avait destinée à Lui être unie en tant de manières ? Il le pouvait, Il le devait : Il l’a donc fait.
Et n’était-ce pas cette glorieuse exception qu’Il annonçait Lui-même au moment où comparurent devant Sa majesté offensée les deux prévaricateurs dont nous sommes tous issus ? La promesse miséricordieuse descendait sur nous dans l’anathème qui tombait sur le serpent. « J’établirai Moi-même, disait le Seigneur, une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et son fruit ; et elle-même t’écrasera la tête ». Ainsi, le salut était annoncé à la famille humaine sous la forme d’une victoire contre Satan ; et cette victoire, c’est la Femme qui la devait remporter pour nous tous. Et que l’on ne dise pas que ce sera le fils de la femme qui la remportera seul, cette victoire : le Seigneur nous dit que l’inimitié de la femme contre le serpent sera personnelle, et que, de son pied vainqueur, elle brisera la tête de l’odieux reptile ; en un mot, que la nouvelle Ève sera digne du nouvel Adam, triomphante comme lui ; que la race humaine un jour sera vengée, non seulement parle Dieu fait homme, mais aussi par la Femme miraculeusement soustraite à toute atteinte du péché ; en sorte que la création primitive dans la sainteté et la justice (Ephes. 4, 24) reparaîtra en elle, comme si la faute primitive n’avait pas été commise.
Relevez donc la tête, enfants d’Adam, et secouez vos chaînes. Aujourd’hui, l’humiliation qui pesait sur vous est anéantie. Voici que Marie, qui est votre chair et votre sang, a vu reculer devant elle le torrent du péché qui entraîne toutes les générations : le souffle du dragon infernal s’est détourné pour ne pas la flétrir ; la dignité première de votre origine est rétablie en elle. Saluez donc ce jour fortuné où la pureté première de votre sang est renouvelée : la nouvelle Ève est produite ; et de son sang qui est aussi le vôtre, moins le péché, elle va vous donner, sous peu d’heures, le Dieu-homme qui procède d’elle selon la chair, comme Il sort de Son Père par une génération éternelle.
Et comment n’admirerions-nous pas la pureté incomparable de Marie dans sa conception immaculée, lorsque nous entendons, dans le divin Cantique, le Dieu-même Qui l’a ainsi préparée pour être Sa Mère, lui dire avec l’accent d’une complaisance toute d’amour : « Vous êtes toute belle, Ma bien-aimée, et il n’y a en vous aucune tache » ? (Cant. 4, 7.) C’est le Dieu de toute sainteté Qui parle ; Son œil qui pénètre tout ne découvre en Marie aucune trace, aucune cicatrice du péché ; voilà pourquoi Il Se conjoint avec elle, et la félicite du don qu’Il a daigné lui faire. Après cela, nous étonnerons-nous que Gabriel, descendu des cieux pour lui apporter le divin message, soit saisi d’admiration à la vue de cette pureté dont le point de départ a été si glorieux et les accroissements sans limites ; qu’il s’incline profondément devant une telle merveille, et qu’il dise : « Salut, ô Marie, pleine de grâce ! ». Gabriel mène sa vie immortelle au centre de toutes les magnificences de la création, de toutes les richesses du ciel ; il est le frère des Chérubins et des Séraphins, des Trônes et des Dominations ; son regard parcourt éternellement ces neuf hiérarchies angéliques où la lumière et la sainteté resplendissent souverainement, croissant toujours de degré en degré ; mais voici qu’il a rencontré sur la terre, dans une créature d’un rang inférieur aux Anges, la plénitude de la grâce, de cette grâce qui n’a été donnée qu’avec mesure aux Esprits célestes, et qui repose en Marie depuis le premier instant de sa création. C’est la future Mère de Dieu toujours sainte, toujours pure, toujours immaculée.
Cette vérité révélée aux Apôtres par le divin Fils de Marie, recueillie dans l’Église, enseignée par les saints Docteurs, crue avec une fidélité toujours plus grande par le peuple chrétien, était contenue dans la notion-même d’une Mère de Dieu. Croire Marie Mère de Dieu, c’était déjà croire implicitement que celle en qui devait se réaliser ce titre sublime n’avait jamais rien eu de commun avec le péché, et que nulle exception n’avait pu coûter à Dieu pour l’en préserver. Mais désormais l’honneur de Marie est appuyé sur la sentence explicite qu’a dictée l’Esprit-Saint. Pierre a parlé par la bouche de Pie IX ; et lorsque Pierre a parlé, tout fidèle doit croire ; car le Fils de Dieu a dit : « J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille jamais » (Luc. 27, 32) ; et il a dit aussi : « Je vous enverrai l’Esprit de vérité qui demeurera avec vous à jamais, et vous fera souci venir de tout ce que je vous avais enseigné » (Jean. 14, 20).
Le symbole de notre foi a donc acquis, non une vérité nouvelle, mais une nouvelle lumière sur la vérité qui était auparavant l’objet de la croyance universelle. En ce jour, le serpent infernal a senti de nouveau la pression victorieuse du pied de la Vierge-mère, et le Seigneur a daigné nous donner le gage le plus signalé de ses miséricordes. Il aime encore cette terre coupable ; car il a daigné l’éclairer tout entière d’un des plus beaux rayons de la gloire de sa Mère. N’a-t-elle pas tressailli, cette terre ? N’a-t-elle pas ressenti à ce moment un enthousiasme que notre génération n’oubliera jamais ? Quelque chose de grand s’accomplissait à cette moitié du siècle ; et nous attendrons désormais les temps avec plus de confiance, puisque si l’Esprit-Saint nous avertit de craindre pour les jours où les vérités diminuent chez les enfants des hommes, Il nous dit assez par là que nous devons regarder comme heureux les jours où les vérités croissent pour nous en lumière et en autorité.
En attendant l’heure de la proclamation solennelle du grand dogme, la sainte Église le confessait chaque année, en célébrant la fête d’aujourd’hui. Cette fête n’était pas appelée, il est vrai, la Conception immaculée, mais simplement la Conception de Marie. Toutefois, le fait de son institution et de sa célébration exprimait déjà suffisamment la croyance de la Chrétienté. Saint Bernard et l’Angélique Docteur saint Thomas s’accordent à enseigner que l’Église ne peut pas célébrer la fête de ce qui n’est pas saint ; la Conception de Marie fut donc sainte et immaculée, puisque l’Église, depuis tant de siècles, l’honore d’une fête spéciale. La Nativité de Marie est l’objet d’une solennité dans l’Église, parce que Marie naquit pleine de grâce ; si donc le premier instant de son existence eût été marqué par la flétrissure commune, sa Conception n’aurait pu être l’objet d’un culte. Or, il est peu de fêtes plus générales et mieux établies dans l’Église que celle que nous célébrons aujourd’hui.
L’Église grecque, héritière plus prochaine des pieuses traditions de l’Orient, la célébrait déjà au VIe siècle, comme on le voit par le Type ou cérémonial de saint Sabbas. En Occident nous la trouvons établie dès le VIIIe siècle, dans l’Église gothique d’Espagne. Un célèbre calendrier gravé sur le marbre, au IXe siècle, pour l’usage de l’Église de Naples, nous la montre déjà instituée à cette époque. Paul Diacre, secrétaire de Charlemagne, puis moine au Mont-Cassin, célébrait le mystère de l’Immaculée-Conception dans une Hymne remarquable. En 1066, la fête s’établissait en Angleterre à la suite d’un prodige opéré sur mer en faveur du pieux abbé Helsin, et bientôt elle s’étendait dans cette île par les soins du grand saint Anselme, moine et archevêque de Cantorbéry ; de là elle passait en Normandie, et prenait possession du sol français. Nous la trouvons en Allemagne sanctionnée dans un concile présidé, en 1049, par saint Léon IX ; dans la Navarre, en 1090, à l’abbaye d’Irach ; en Belgique, à Liège, en 1142. C’est ainsi que toutes les Églises de l’Occident rendaient tour à tour témoignage au mystère, en acceptant la fête qui l’exprimait.
Enfin, l’Église de Rome l’adopta elle-même, et par son concours vint rendre plus imposant encore ce concert de toutes les Églises. Ce fut Sixte IV qui, en 1476, rendit le décret qui instituait la fête de la Conception de Notre-Dame dans la ville de saint Pierre. Au siècle suivant, en 1568, saint Pie V publiait l’édition universelle du Bréviaire Romain ; on y voyait cette fête inscrite au calendrier, comme l’une des solennités chrétiennes qui doivent chaque année réunir les vœux des fidèles. Rome n’avait pas déterminé le mouvement de la piété catholique envers le mystère ; elle le sanctionnait de son autorité liturgique, comme elle l’a confirmé, dans ces derniers temps, de son autorité doctrinale.
Les trois grands États de l’Europe catholique, l’Empire d’Allemagne, la France et l’Espagne, se signalèrent, chacun à sa manière, par les manifestations de leur piété envers Marie immaculée dans sa Conception. La France, par l’entremise de Louis XIV, obtint de Clément IX que la fête serait célébrée avec Octave dans le royaume : faveur qui fut bientôt étendue à l’Église universelle par Innocent XII. Déjà, depuis des siècles, la Faculté de théologie de Paris astreignait tous ses Docteurs à prêter serment de soutenir le privilège de Marie, et elle maintint cette pieuse pratique jusqu’à son dernier jour.
L’empereur Ferdinand III, en 1647, fit élever sur la grande place de Vienne une splendide colonne couverte d’emblèmes et de figures qui sont autant de symboles de la victoire que Marie a remportée sur le péché, et surmontée de la statue de notre Reine immaculée.
L’Espagne dépassa tous les États catholiques par son zèle pour le privilège de Marie. Dès l’année 1398, Jean Ier, roi d’Aragon, donnait une charte solennelle pour mettre sa personne et son royaume sous la protection de Marie conçue sans péché. Plus tard, les rois Philippe III et Philippe IV faisaient partir pour Rome des ambassades qui sollicitaient en leur nom la solennelle décision que le Ciel, dans sa miséricorde, avait réservée pour nos temps. Charles III, au siècle dernier, obtenait de Clément XIII que la Conception immaculée devînt la fête patronale des Espagnes. Les habitants du royaume Catholique inscrivaient sur la porte ou sur la façade de leurs maisons la louange du privilège de Marie ; ils se saluaient en le prononçant dans une formule touchante ["Ave Maria purisima. - Sin pecado concebida", NDLR]. Marie de Jésus, abbesse du monastère de l’Immaculée-Conception d’Agréda, écrivait son livre de la Cité mystique de Dieu, dans lequel Murillo s’inspirait pour produire le chef-d’œuvre de la peinture espagnole.
Mais il ne serait pas juste d’omettre, dans cette énumération des hommages rendus à Marie immaculée, la part immense qu’a eue l’Ordre Séraphique au triomphe terrestre de cette auguste Souveraine de la terre et des cieux. Le pieux et profond docteur Jean Duns Scot, qui le premier sut assigner au dogme de la Conception immaculée le rang qu’il occupe dans la divine théorie de l’Incarnation du Verbe, ne mérite-t-il pas d’être nommé aujourd’hui avec l’honneur qui lui est dû ? Et toute l’Église n’a-t-elle pas applaudi à l’audience sublime que reçut du Pontife la grande famille des Frères-Mineurs, au moment où toutes les pompes de la solennelle proclamation du dogme paraissant accomplies, Pie IX y mit le dernier sceau en acceptant des mains de l’Ordre de Saint-François l’hommage touchant et les actions de grâces que lui offrait l’École scotiste, après quatre siècles de savants travaux en faveur du privilège de Marie ? En présence de cinquante-quatre Cardinaux, de quarante-deux Archevêques et de quatre-vingt-douze Évêques, sous les regards d’un peuple immense qui remplissait le plus vaste temple de l’univers, et avait joint sa voix pour implorer la présence de l’Esprit de vérité, le Vicaire du Christ venait de prononcer l’oracle attendu depuis des siècles ; le divin Sacrifice avait été offert par lui sur la Confession de saint Pierre ; la main du Pontife avait orné d’un splendide diadème l’image de la Reine immaculée ; porté sur son trône aérien et le front ceint de la triple couronne, il était arrivé près du portique de la basilique. Là, prosternés à ses pieds, les deux représentants du Patriarche Séraphique arrêtèrent sa marche triomphale. L’un présentait une branche de lis en argent : c’était le Général des Frères-Mineurs de l’Observance ; une tige de rosier chargée de ses fleurs, de même métal, brillait aux mains du second : c’était le Général des Frères-Mineurs Conventuels. Lis et roses, fleurs de Marie, pureté et amour symbolisés dans cette offrande que rehaussait la blancheur de l’argent, pour rappeler le doux éclat de l’astre sur lequel se réfléchit la lumière du soleil : car Marie « est belle comme la lune », nous dit le divin Cantique (4, 9). Le Pontife ému daigna accepter le don de la famille Franciscaine, de qui l’on pouvait dire en ce jour, comme de l’étendard de notre héroïne française, « qu’ayant été à la lutte, il était juste qu’elle fût aussi au triomphe ». Et ainsi se terminèrent les pompes si imposantes de cette grande matinée du huit décembre 1854.
C’est ainsi que vous avez été glorifiée sur la terre en votre Conception Immaculée, ô vous la plus humble des créatures ! Mais comment les hommes ne mettraient-ils pas toute leur joie à vous honorer, divine aurore du Soleil de justice ? Ne leur apportez-vous pas, en ces jours, la nouvelle de leur salut ? N’êtes-vous pas, ô Marie, cette radieuse espérance qui vient tout d’un coup briller au sein-même de l’abîme de la désolation ? Qu’allions-nous devenir sans le Christ Qui vient nous sauver ? Et vous êtes Sa Mère à jamais chérie, la plus sainte des créatures de Dieu, la plus pure des vierges, la plus aimante des mères !
Ô Marie ! Que votre douce lumière réjouit délicieusement nos yeux fatigués ! De génération en génération, les hommes se succédaient sur la terre ; ils regardaient le ciel avec inquiétude, espérant à chaque instant voir poindre à l’horizon l’astre qui devait les arracher à l’horreur des ténèbres ; mais la mort avait fermé leurs yeux, avant qu’ils eussent pu seulement entrevoir l’objet de leurs désirs. Il nous était réservé de voir votre lever radieux, ô brillante Etoile du matin ! Vous dont les rayons bénis se réfléchissent sur les ondes de la mer, et lui apportent le calme après une nuit d’orages ! Oh ! Préparez nos yeux à contempler l’éclat vainqueur du divin Soleil qui marche à votre suite. Préparez nos cœurs ; car c’est à nos cœurs qu’il veut se révéler. Mais, pour mériter de le voir, il est nécessaire que nos cœurs soient purs ; purifiez-les, ô vous, l’Immaculée, la très pure ! Entre toutes les fêtes que l’Église a consacrées à votre honneur, la divine Sagesse a voulu que celle de votre Conception sans tache se célébrât dans ces jours de l’Avent, afin que les enfants de l’Église, songeant avec quelle divine jalousie le Seigneur a pris soin d’éloigner de vous tout contact du péché, par honneur pour Celui Dont vous deviez être la Mère, ils se préparassent eux-mêmes à Le recevoir par le renoncement absolu à tout ce qui est péché et affection au péché. Aidez-nous, ô Marie ! à opérer ce grand changement. Détruisez en nous, par votre Conception Immaculée, les racines de la cupidité, éteignez les flammes de la volupté, abaissez les hauteurs de la superbe. Souvenez-vous que Dieu ne vous a choisie pour Son habitation, qu’afin de venir ensuite faire Sa demeure en chacun de nous.
Ô Marie ! Arche d’alliance, formée d’un bois incorruptible, revêtue de l’or le plus pur, aidez-nous à correspondre aux desseins ineffables du Dieu Qui, après S’être glorifié dans votre pureté incomparable, veut maintenant Se glorifier dans notre indignité, et ne nous a arrachés au démon que pour faire de nous Son temple et Sa demeure la plus chère ! Venez à notre aide, ô vous qui, par la miséricorde de votre Fils, n’avez jamais connu le péché ! et recevez en ce jour nos hommages. Car vous êtes l’Arche de Salut qui surnage seule sur les eaux du déluge universel ; la blanche Toison rafraîchie par la rosée du ciel, pendant que la terre entière demeure dans la sécheresse ; la Flamme que les grandes eaux n’ont pu éteindre ; le Lis qui fleurit entre les épines ; le Jardin fermé au serpent infernal ; la Fontaine scellée, dont la limpidité ne fut jamais troublée ; la Maison du Seigneur, sur laquelle Ses yeux sont ouverts sans cesse, et dans laquelle rien de souillé ne doit jamais entrer ; la Cité mystique dont on raconte tant de merveilles (Ps. 86). Nous nous plaisons à redire vos titres d’honneur, ô Marie ! Car nous vous aimons ; et la gloire de la Mère est celle des enfants. Continuez de bénir et de protéger ceux qui honorent votre auguste privilège, vous qui êtes conçue en ce jour ; et bientôt naissez, concevez l’Emmanuel, enfantez-le et montrez-le à notre amour.
L’Introït est un chant d’actions de grâces emprunté à Isaïe et à David. Marie célèbre les dons supérieurs dont Dieu l’a honorée et la victoire qu’Il lui a donnée sur l’enfer.
La Collecte présente l’application morale du mystère. Marie a été préservée de la tache originelle, parce qu’elle devait être l’habitation du Dieu trois fois Saint. Que cette pensée nous engage à recourir à la bonté divine pour en obtenir la purification de nos âmes. L’Apôtre nous enseigne que Jésus, notre Emmanuel, est le premier-né de toute créature (Coloss. 1, 15). Ce mot profond signifie non seulement qu’Il est, en tant que Dieu, éternellement engendré du Père ; mais il exprime encore que le Verbe divin, en tant qu’homme, est antérieur à tous les êtres créés. Cependant ce monde était sorti du néant, le genre humain habitait cette terre depuis déjà quatre mille ans, lorsque le Fils de Dieu S’unit à une nature créée. C’est donc dans l’intention éternelle de Dieu, et non dans l’ordre des temps, qu’il faut chercher cette antériorité de l’Homme-Dieu sur toute créature. Le Tout-Puissant a d’abord résolu de donner à Son Fils éternel une nature créée, la nature humaine, et, par suite de cette résolution, de créer pour être le domaine de cet Homme-Dieu, tous les êtres spirituels et corporels. Voilà pourquoi la divine Sagesse, le Fils de Dieu, dans le passage de l’Écriture que l’Église nous propose aujourd’hui et que nous venons de lire, insiste sur sa préexistence à toutes les créatures qui forment cet univers. Comme Dieu, Il est engendré de toute éternité au sein de Son Pète ; comme homme, Il était dans la pensée de Dieu le type de toutes les créatures, avant qu’elles fussent sorties du néant. Mais le Fils de Dieu, pour être un homme de notre filiation, ainsi que l’exigeait le décret divin, devait naître dans le temps, et naître d’une Mère : cette Mère a donc été présente éternellement à la pensée de Dieu comme le moyen par lequel le Verbe prendrait la nature humaine ; le Fils et la Mère sont donc unis dans le même plan de l’Incarnation ; Marie était donc présente comme Jésus dans le décret divin, avant que la création sortît du néant. Voilà pourquoi, dès les premiers siècles du Christianisme, la sainte Église a reconnu la voix de la Mère unie à celle du Fils dans ce sublime passage du livre sacré, et a voulu qu’on le lût dans l’assemblée des fidèles, ainsi que les autres passages analogues de l’Écriture, aux solennités de la Mère de Dieu. Mais si Marie importe à ce degré dans le plan éternel ; si, comme son Fils, elle est, en un sens, avant toute créature, Dieu pouvait-Il permettre qu’elle fût sujette à la flétrissure originelle encourue par la race humaine ? Sans doute, elle ne naîtrait qu’à son tour, ainsi que son Fils, dans le temps marqué ; mais la grâce détournerait le cours du torrent qui entraîne tous les hommes, afin qu’elle n’en fût pas même touchée, et qu’elle transmît à son Fils Qui devait être aussi le Fils de Dieu, l’être humain primitif qui fut créé dans la sainteté et dans la justice.
Le Graduel est formé des éloges que les anciens de Béthulie adressèrent à Judith, après qu’elle eut frappé l’ennemi de son peuple. Judith est un des types de Marie qui a brisé la tête du serpent. Le Verset alléluiatique applique à Marie les paroles du divin Cantique où l’Épouse de Dieu est déclarée toute belle et sans tache.
« En ce temps-là, l’Ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph, et le nom de la Vierge était Marie. Et l’Ange étant entré où elle était, lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! Le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes » : Telle est la salutation qu’apporte à Marie l’Archange descendu du ciel. Tout y respire l’admiration et le plus humble respect. Le saint Évangile nous dit qu’à ces paroles la Vierge se sentit troublée, et qu’elle se demandait à elle-même ce que pouvait signifier une telle salutation. Les saintes Écritures en reproduisent plusieurs autres, et, comme le remarquent les Pères, saint Ambroise, saint André de Crète, à la suite d’Origène, il n’en est pas une seule qui contienne de tels éloges. La Vierge prudente dut donc s’étonner d’être le sujet d’un langage si flatteur, et ainsi que le remarquent les auteurs de l’Antiquité, elle dut penser au colloque du jardin entre Ève et le serpent. Elle se retrancha donc dans le silence, et attendit, pour répondre, que l’Archange eût parlé une seconde fois.
Néanmoins Gabriel avait parlé non seulement avec toute l’éloquence, mais avec toute la profondeur d’un Esprit céleste initié aux pensées divines ; et, dans son langage surhumain, il annonçait que le moment était venu où Ève se transformait en Marie. Une femme était devant lui, destinée aux plus sublimes grandeurs, une future Mère de Dieu ; mais, à cet instant solennel, Marie n’était encore qu’une fille des hommes. Or, dans ce premier état, mesurez la sainteté de Marie telle que Gabriel la décrit ; vous comprendrez alors que l’oracle divin du paradis terrestre a déjà reçu en elle son accomplissement.
L’Archange la proclame pleine de grâce. Qu’est-ce à dire ? Sinon que la seconde femme possède en elle l’élément dont le péché priva la première. Et remarquez qu’il ne dit pas seulement que la grâce divine agit en elle, mais qu’elle en est remplie. « Chez d’autres réside la grâce, dit notre saint Pierre Chrysologue, mais en Marie habite la plénitude de la grâce ». En elle tout est resplendissant de la pureté divine, et jamais le péché n’a répandu son ombre sur sa beauté. Voulez-vous connaître la portée de l’expression angélique ? Demandez-la à la langue-même dont s’est servi le narrateur sacré d’une telle scène. Les grammairiens nous disent que le mot unique qu’il emploie dépasse encore ce que nous exprimons par « pleine de grâce ». Non seulement il rend l’état présent, mais encore le passé, mais une incorporation native de la grâce, mais son attribution pleine et complète, mais sa permanence totale. Il a fallu affaiblir le terme en le traduisant.
Que si nous cherchons un texte analogue dans les Écritures, afin de pénétrer les termes de la traduction au moyen d’une confrontation, nous pouvons interroger l’Évangéliste saint Jean. Parlant de l’humanité du Verbe incarné, il la caractérise d’un seul mot : il dit qu’elle est « pleine de grâce et de vérité ». Mais cette plénitude serait-elle réelle, si elle eût été précédée d’un moment où le péché tenait la place de la grâce ? Appellera-t-on plein de grâce, celui qui aurait eu besoin d’être purifié ? Sans doute il faut tenir compte respectueusement de la distance qui sépare l’humanité du Verbe incarné de la personne de Marie au sein de laquelle le Fils de Dieu a puisé cette humanité ; mais le texte sacré nous oblige à confesser que la plénitude de la grâce a régné proportionnellement dans l’une et dans l’autre.
Gabriel continue d’énumérer les richesses surnaturelles de Marie. « Le Seigneur est avec vous », lui dit-il. Qu’est-ce à dire ? Sinon qu’avant même d’avoir conçu le Seigneur dans son chaste sein, Marie Le possède déjà dans son âme. Or, ces paroles pourraient-elles subsister, s’il fallait entendre que cette société avec Dieu n’a pas été perpétuelle, qu’elle ne s’est établie qu’après l’expulsion du péché ? Qui oserait le dire ? Qui oserait le penser, lorsque le langage de l’Archange est d’une si haute gravité ? Qui ne sent ici le contraste entre Ève que le Seigneur n’habite plus, et la seconde femme qui, L’ayant reçu en elle comme Ève, dès le premier moment de son existence, l’a conservé par sa fidélité, étant demeurée telle qu’elle fut des le commencement ?
Pour mieux saisir encore l’intention du discours de Gabriel qui vient déclarer l’accomplissement de l’oracle divin, et signale ici la femme promise pour être l’instrument de la victoire sur Satan, écoutons les dernières paroles de la salutation. « Vous êtes bénie entre les femmes » : qu’est-ce à dire ? Sinon que depuis quatre mille ans toute femme ayant été sous la malédiction, condamnée à enfanter dans la douleur, voici maintenant l’unique, celle qui a toujours été dans la bénédiction, qui a été l’ennemie constante du serpent, et qui donnera sans douleur le fruit de ses entrailles.
La Conception immaculée de Marie est donc exprimée dans la salutation que lui adresse Gabriel ; et nous comprenons maintenant le motif qui a porté la sainte Église à faire choix de ce passage de l’Évangile, pour le faire lire aujourd’hui dans l’assemblée des fidèles.
Après le chant triomphal du Symbole de la foi, le chœur entonne l’Offertoire ; il est formé des paroles de la Salutation de l’Ange. Disons à Marie avec Gabriel : Vous êtes véritablement pleine de toute grâce.
Dom Guéranger, abbé de Solesmes
Sainte Anne et l'Immaculée Conception.
C'est cette date qu'a choisie le Souverain Pontife "en exercice" pour le commencement du "Jubilé de la Miséricorde", afin de commémorer le cinquantième anniversaire de l'ouverture du dernier concile, qui appelle effectivement instamment la Miséricorde de Dieu sur notre monde, qui L'a renié théoriquement comme pratiquement, et dans lequel règnent visiblement les esprits maléfiques si opposés à ce bienheureux mystère marial, gage de leur prochaine défaite.
"Pénitence !" nous crie inlassablement notre Mère du Ciel. Que ce Jubilé soit l'occasion de nous faire redécouvrir ce qu'est réellement la Miséricorde : Miseris cor dare, le "fait de donner son coeur aux malheureux". Pour obtenir miséricorde, il faut tout d'abord reconnaître sa misère, faire pénitence et réparer ses péchés. Nous sommes renvoyés à la parabole de l'enfant prodigue.
En ce jour commence également l'application du dernier Motu proprio MITIS JUDEX du Saint-Père sur la facilitation des procès en déclaration de nullité de mariage, assimilée par certains à un "divorce catholique". A ce sujet, nous reproduisons la lettre ouverte d'un philosophe italien sur le site benoit-et-moi.fr :
Je suis un des 790.190 Catholiques [NDLR: aujourd'hui 868 000] qui ont signé, dans le monde entier, la Supplique qui vous a été adressée au début du mois d'octobre 2015, demandant à Votre Sainteté "une parole d’éclaircissement", qui dissipe la grave confusion répandue dans l'Église au sujet d'enseignements fondamentaux, suite aux ouvertures faites par le synode provisoire des Évêques sur la Famille de l'automne 2014. Ces "ouvertures" n’impliquaient pas moins que la légitimation de l'adultère et du péché car elles visaient, entre autres choses, à admettre à la Sainte Communion les catholiques divorcés remariés civilement. Et pas seulement: elles auraient pu même conduire à l'acceptation des cohabitations homosexuelles, toujours catégoriquement condamnées par l'Église car expressément contraires à la loi divine et naturelle.
Mais cette parole magistérielle, la parole du Souverain Pontife, le Vicaire du Christ Notre Seigneur sur terre, on ne l'a pas entendue. La Supplique est restée inécoutée. Par contre il y a eu, le 12 septembre 2015, la Lettre Apostolique Motu Proprio Data, "Mitis Judex Dominus Jesus", "sur la réforme du processus canonique pour les causes de déclaration de nullité du mariage dans le Code de Droit Canonique". Ce Motu Proprio institue, au Titre V, "le procès matrimonial plus bref devant l'Évêque", une nouveauté absolue pour l'Église, qui a fait beaucoup discuter, mise en œuvre avec référence explicite à l'esprit de Vatican II.
Le Motu Proprio abolit l'institution de la "double sentence conforme" (toujours défendue par les meilleurs canonistes) avec l'objectif de simplifier les procédures tendant à obtenir une déclaration de nullité; simplification qui ne semble toutefois pas être en harmonie avec la séculière tradition de la présomption de validité du mariage, qui doit être défendue/à défendre par tous les instruments du droit.
Par ailleurs, la nouvelle procédure "plus brève", en plus d'attribuer aux évêques une compétence tout à fait inhabituelle, présente (à l'art. 14 § 1) une liste de "circonstances qui peuvent permettre une tractation de la cause de nullité par le moyen du procès plus bref". La liste de ces circonstances est ample: entre elles se distinguent "le manque de foi des époux" à l'acte du mariage et la "brièveté de la vie commune conjugale" (coabitazione). L'inscription de ces "circonstances" a créé beaucoup de perplexité induisant certains à parler de "divorce catholique" de fait, garanti justement pas cette procédure "plus brève"; d'autant plus que la liste de ces "circonstances" se clôt tout en restant ouverte, y ayant été apposé un "etc." final, comme si une liste de ce genre pouvait être intégrée à l'infini. Une façon tout à fait singulière de produire le droit, a fortiori le droit canonique, autrefois phare de vraie civilisation juridique aussi pour le monde laïque.
Cette manière informelle de procéder est justifiée par Votre Sainteté par le recours au principe de la miséricorde. Elle ne peut pas s'arrêter à la lettre, doit saisir et mettre en acte l'esprit des normes, des lois, des Commandements divins. Celui qui aujourd'hui défend avec ténacité les principes fondamentaux de la doctrine est par Votre Sainteté stigmatisé comme un hypocrite, quelqu'un qui veut "endoctriner l'Évangile en des pierres mortes à lancer contre les autres". Certes, comme Votre Sainteté l'a rappelé, "le premier devoir de l'Église n'est pas celui de distribuer condamnations ou anathèmes, mais celui de proclamer la miséricorde de Dieu, d'appeler à la conversion et de conduire tous les hommes au salut du Seigneur (voir Jean 12, 44-50)".
Mais, justement, je me permets de l'observer, il doit y avoir "la conversion" pour pouvoir obtenir le salut. Nous savons bien ce que cela signifie. "Conversion" du cœur au Christ avec l'aide de la Grâce et donc repentir et changement de vie de façon à pouvoir devenir son disciple dans la foi et les œuvres; de façon à devenir cet homme nouveau, re-né dans le Christ, et à qui seul sera donné de "voir le Royaume de Dieu" (Jean 3, 3). Vivre dans le Christ (et donc selon les enseignements traditionnels de l'Église) dans les œuvres de sa propre sanctification quotidienne ne signifie-t-il pas devoir prendre sa propre croix à l’imitation du Christ? Il est vrai que l'Église a la mission de conduire "tous les hommes au salut du Seigneur". Nous savons toutefois que pas tous, voire beaucoup ne se sauveront pas. Le Verbe incarné lui-même l'a dit : "Entrez par la porte étroite; car large est la porte, et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent. Car étroite est la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie et il en est peu qui la trouvent!" (Mt 7, 13-14).
Tous ceux qui préfèrent "la voie spacieuse" des fils du Siècle athée et mécréant ont refusé la miséricorde divine. En persévérant dans le refus, ils seront condamnés par la justice divine, sans que cela représente une contradiction avec sa miséricorde. L'article 55 de la Relatio finale du récent Synode des Évêques sur la famille rappelle une phrase chère à Votre Sainteté, dont l'article lui-même est pratiquement l'exégèse: "La miséricorde est le centre de la révélation de Jésus Christ". En effet, avec le sacrifice de sa mort sur la Croix, Notre Seigneur ne nous a-t-il pas obtenu miséricorde (propitiatio) pour nos péchés? Votre Sainteté cite également Saint Thomas qui, dans la Summa, a écrit: "C'est justement dans sa miséricorde que Dieu manifeste sa toute-puissance" (IIa-IIae, q. 30, art 4). Concept très exact. Toutefois Saint Thomas, je me permets de l'ajouter, après avoir cité Saint Augustin, pour qui la miséricorde est une vertu qui doit toujours être conforme à la raison et donc "conserver la justice", a aussi écrit que "la miséricorde, entendue comme passion soustraite à la raison, fait obstacle à la délibération [rationnelle], faisant disparaître la justice".
Autrement dit: une miséricorde mal entendue (même si elle est animée par les meilleures intentions) conduit au latitudinarisme et au laxisme, acheminant beaucoup de personnes vers la "voie large" de la perdition. Et ceux qui utilisent le principe de la miséricorde prôné par Votre Sainteté pour administrer la Sainte Communion à des personnes qui vivent dans le péché et continuent d'y vivre ou bien pour accepter les cohabitations de fait et d'autre type; auprès de ces derniers la "miséricorde" n'est-elle pas devenue un principe irrationnel qui les amène à une "délibération" non conforme à la raison, violant ainsi la justice? Qui est ici en premier lieu la justice divine. Raison pour laquelle saint Paul nous enseigne, à propos d'une Sainte Communion sacrilège: "C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur" (1 Cor 11,27), tombant ainsi sous la hache de sa justice.
L'idéal de miséricorde chrétienne inspirant le Motu Proprio a évidemment influencé (voir art. 55) la Relatio finale du XVe Synode des Évêques, qui s'est tenu à Rome du 5 au 25 octobre de cette année sur le thème "La vocation et la mission de la famille dans l'Église et le monde contemporain". Dans cette Relatio, alors que les "ouvertures" à l'homosexualité ont été nettement rejetées (voir art. 76), par contre, aux art. 84, 85 et 86, qui ont eu pourtant de nombreuses voix contraires, les critères sont établis pour le discernement et l'intégration dans l'Église des divorcés remariés civilement, aussi dans la liturgie. Ces critères ont été exposés avec un langage élusif qui permet toutefois à l'Évêque qui le veut de trouver des points suffisants pour inaugurer la "voie large", voire "intégrer" les divorcés remariés aussi dans cette partie de la liturgie représentée par la Sainte Communion. C'est l'interprétation cryptique du texte, soutenue par des cardinaux et évêques ayant autorité, aussi bien dans la faction qui pousse aux "ouvertures" que parmi ceux qui sont restés fidèles au Magistère éternel.
Le Motu Proprio Mitis Judex entrera en vigueur le 8 décembre, fête de l'Immaculée, jour d'ouverture du Jubilé proclamé par Votre Sainteté. On s'attend également ce jour-là à ce que le Pape accueille ou n'accueille pas les diverses instances d' "ouverture" repérables dans le Synode sur la Famille, en particulier celles contenues dans les articles cités 84, 85, 86.
L'objectif de cette Lettre que j'ai pris la liberté d'écrire en ma qualité de simple fidèle est par conséquent le suivant:
J'implore Votre Sainteté de rejeter les demandes d'ouverture qui ont été présentées, y compris celles aux divorcés remariés, et de surseoir à l'entrée en vigueur du motu proprio sur la réforme des procédures pour obtenir la nullité du mariage: de suspendre ce motu proprio, voire même de le retirer.
Cette requête au Pape de la part d'un simple fidèle peut sembler tout à fait exceptionnelle, pour ne pas dire d'une audace téméraire. Je peux assurer Votre Sainteté qu'il n'y a aucune audace particulière ou de témérité de ma part, mais juste l'ardent désir de défendre la vraie doctrine et et la vraie pastorale catholiques en ces temps de grande confusion, désir partagé par de très nombreux fidèles, au nom de qui (tout en les connaissant pas) je crois pouvoir parler, sans avoir pour cela à être accusé d’orgueil. Si ces instances hétérodoxes venaient à être accueillies et si la réforme du procès des causes de nullité devenait loi, le jour de l'imminente Fête de l'Immaculée et début officiel de l'Année Sainte, le 8 décembre 2015 serait un jour vraiment funeste dans l'histoire de l'Église. En effet, une procédure pour l'obtention de la nullité du mariage serait adoptée, qui peut de fait être qualifiée de "divorce catholique", grâce aussi à la nouveauté extraordinaire et atypique du "procès plus bref"; les parcours dits "de discernement pastoral" seraient permis en faveur de l'intégration dans l'Église (y compris dans la liturgie) des divorcés remariés, "parcours" qui débouchent objectivement sur une "légitimation du péché" et qui se manifestent ici (pour nous exprimer dans les termes explicites de la doctrine bimillénaire de l'Église ) sous une triple forme: adultère, fornication et concubinage, à quoi nous pouvons également ajouter, dans certains cas, le scandale public.
Dixi et salvavi animam meam.
Je prie Votre Sainteté de croire aux sentiments de ma très filiale dévotion. Que l'Esprit Saint vous illumine, vous soutienne, et toujours vous protège.
Paolo Pasqualucci
le 30 novembre 2015
Très miséricordieuse Vierge Marie, ayez toujours pitié de nous.