L'Ami de la Religion et du Roi

L'Ami de la Religion et du Roi

Lettre mensuelle aux membres de la Confrérie (25 juillet 2017)

Confrérie de prière

LETTRE MENSUELLE AUX MEMBRES ET AMIS DE LA CONFRÉRIE ROYALE

25 JUILLET 2017

 

De la dignité

 

 

 

                                   Il est au Louvre, parmi tant de chefs-d'oeuvre, un tableau de Charles Le Brun, le portrait équestre du chancelier de France, Pierre Séguier, entouré par des valets. Le spectateur ne peut qu'être impressionné par l'atmosphère de grandeur tranquille et assurée se dégageant d'un tel tableau. Le chancelier de France, Garde des sceaux et ministre d'Etat qui, pendant quarante ans, assista les cardinaux de Richelieu et Mazarin dans l'administration du royaume, apparaît là dans toute sa dignité. Une dignité qui est double : à la fois celle liée à sa charge, indépendamment de l'homme qui la porte, et aussi celle liée à sa personnalité et à ses qualités propres. Ce sont de tels serviteurs de l'Etat qui contribuèrent à la grandeur de la France, en demeurant souvent dans l'ombre de géants comme le furent les deux cardinaux qui présidèrent à la destinée de la France dans leur fidélité au Roi.

 

                                   Sans doute ne sommes-nous plus habitués à être dirigés par de tels hommes, tout entiers donnés à leur tâche, soucieux de vérité et de bien plus que de leur propre image. Certains vont rétorquer que le chancelier soigne bien sa réputation puisqu'il se fait ainsi représenter caracolant, en de somptueux atours et servis par des domestiques stylés et déférents. Pourtant, ce qu'il lègue ainsi à son époque et à la postérité n'est point ce qu'il est ou ce qu'il était mais le respect dû à la charge au service du royaume. Le Brun - si reconnaissant envers le chancelier qui découvrit son talent, l'envoya à Rome puis lui obtint une place de valet du Roi avant que le peintre n'accédât à la plus haute responsabilité artistique à la Cour -, n'a jamais été servile. S'il campe ainsi son protecteur, qui fut aussi protecteur de l'Académie française et de l'Académie royale de peinture et de sculpture, son but est de nous donner une leçon politique : une dignité exceptionnelle ne peut être occupée que par un homme digne d'elle, hors du commun. Le vrai serviteur doit savoir tenir son rang, non point pour sa propre gloire mais pour l'honneur du monarque qu'il sert et du royaume pour lequel il se consacre. Ceux qui sont revêtus de dignités ecclésiastiques, civiles ou militaires ne doivent pas se pavaner comme des paons. Ils ne doivent pas non plus réduire le faste et la gloire attachés à leur charge sous peine, par fausse humilité, de réduire à néant la dignité incombant au poste qu'ils occupent et ainsi, de détruire l'autorité qui y est attachée. Un prince, un pontife, un maréchal, aussi indignes soient-ils à cause de leurs faiblesses humaines, doivent occuper pleinement et avec autorité leur position afin que chacun prenne conscience que la dignité dont ils héritent ne dépend pas d'eux mais de plus grand qu'eux. Le Roi lui-même, le Souverain Pontife ne sont que des serviteurs inutiles fléchissant la nuque devant le Très Haut.

 

                                   Trop souvent nous considérons que les dignités ne sont que vanités. Elles peuvent le devenir en effet, car l'homme se laisse prendre au piège, mais elles ne le sont pas dans leur essence. Dieu a créé une hiérarchie dans la nature et Il a donné des chefs à ses enfants. Notre Seigneur dit bien à ses disciples qu'ils ont raison de L'appeler Maître et Seigneur. Pourtant Il se présente dans le même temps comme le serviteur. Et s'Il n'accepte pas de n'être que le roi des Juifs, Il affirme bien devant Pilate qu'Il est Roi, ceci dans son dénuement le plus extrême. L'Ecce Homo, défiguré, est enveloppé de dignité, si bien que le centurion chargé de la mise en œuvre de son exécution, Le reconnaîtra à la fin comme Fils de Dieu. Si certains hommes, dans et hors de l'Eglise, ne rêvent que d'être couverts d'honneurs et de dignités afin de se contempler dans le miroir comme le jeune évêque de Stendhal dans Le Rouge et le Noir s'exerçant à donner la bénédiction la plus élégante qui puisse se trouver, d'autres revêtent des honneurs et des dignités identiques en sachant que la couronne, la tiare ou la mitre ne récompensent pas leurs propres mérites mais les rendent responsables devant Dieu et devant les hommes des actes qu'ils vont décider.

 

                                   Toute personne et toute dignité sont relatives par rapport à Dieu. Saint Thomas d'Aquin soulignait dans la Somme Théologique : « La dignité de la nature divine surpasse (excedit) toute dignité, et c’est bien en cela que le nom de personne convient avant tout à Dieu. » (I, q.29, a.3, ad.2). Nous voilà rappelés avec sagesse à beaucoup d'humilité. Toutes les dignités du monde, une fois désentortillées, ne révèlent qu'un minuscule berlingot, pour reprendre une belle image de Georges Bernanos. Il n'empêche que tout cet emballage est inévitable et nécessaire. Il faut toujours se méfier de ceux qui, exerçant le pouvoir, affichent constamment leur mépris des formes et affirment trop fort que le dépouillement est frère de la pauvreté évangélique. Le chancelier Séguier, mortier en tête, croix du Saint-Esprit sur la poitrine, protégé par un double parasol et chevauchant une haquenée, est plus simple que ces hypocrites qui abîment la charge qui leur est confiée en rognant sur l'appareil et sur l'apparat. La dignité ne repose pas plus dans l'absence de formes que dans leur enflure. Il est facile de reconnaître celui qui se prête au jeu pour sa gloire et celui qui accueille les dignités humaines pour ce qu'elles sont : des instruments efficaces de l'exercice de l'autorité, du prestige d'un pays et de la gloire d'un monarque légitime.

 

                                   Ceux qui confondent leur petite personne avec l'honneur qui leur échoit sont « baveux comme un pot à moutarde », selon la savoureuse expression rabelaisienne. Ils débordent de toute part de leur moi indigeste et envahissant. Il faut s'en garder, les regarder avec commisération, et passer son chemin. Notre confiance ne peut s'attacher à de tels êtres. En revanche, il suffit de contempler le portrait du chancelier Séguier pour se dire qu'il aurait été bon de servir un tel homme, serviteur de tels cardinaux, au service d'un tel Roi, tous craignant Dieu et sachant que tout est poussière et retourne à la poussière, sinon la charité qui, elle, ne passe pas. La dignité en tant que disposition de l'âme dépasse les dignités humaines. Comme l'écrivait Paul Claudel dans son Journal« dignité est un mot qui ne comporte pas de pluriel ». Voilà pourtant un homme qui s'y connaissait en distinctions mondaines, en récompenses et en titres, et qui en était friand. Il semble avoir été plus détaché qu'il ne le laissa supposer.

 

                                   Beaucoup de nos contemporains ignorent désormais ce que dignité signifie. Ils ne la reconnaissent point dans les autres car ils n'en vivent pas eux-mêmes. Ils préfèrent trahir, écraser, faire volte face, abandonner leurs convictions au gré des vents contraires. Une personne digne demeure constamment identique à ce qu'elle est vraiment. Elle ne se laisse pas influencer par les modes, les groupes de pression, les menaces. Elle traverse sans sourciller le torrent des temps mauvais. Rares sont les autorités civiles et religieuses qui sont aujourd'hui revêtues d'une telle parure de l'âme et de l'intelligence.

 

                                    Les êtres les plus simples, lorsqu'ils ne se laissent pas pourrir par l'adversité et les épreuves, sont capables d'une dignité que l'on ne peut rencontrer que chez les Saints les plus aguerris et les princes justement dignes de leur rang. Ils traversent l'existence en laissant derrière eux un sillage où miroitent les étoiles et où chantent les anges. Ces pauvres sont la clef de la porte du Paradis qui s'ouvre devant eux à grand fracas. Le chancelier Séguier qui nous regarde fixement du haut de sa monture rejoint alors les paysans partageant leur modeste pitance dans les tableaux des frères Le Nain. Une même présence habite tous ces regards. En fait, chacun tient son rang, l'occupe, fixé à sa tâche, désireux de remplir au mieux ce pour quoi il est fait. Pas de regard de travers et en coin pour lorgner sur ce que le voisin possède de plus ou en moins.

 

                                   Notre pays, béni par Dieu, aimé de la Sainte Vierge, n'est plus digne de sa vocation chrétienne. Il n'en demeure pas moins privilégié et il est toujours temps qu'il se réveille. Commençons par investir notre propre dignité personnelle, comme le fit le chancelier Séguier croqué par Le Brun. Ensuite nous pourrons contribuer à la dignité de notre royaume. Nous récoltons pour l'instant l'indignité nationale que nous méritons, incapables de nous tourner vers Dieu et de Lui remettre ce que nous recevons de Lui après l'avoir fait fructifier au centuple.

  

                                                        P. Jean-François Thomas, s.j.

 

 


24/07/2017
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