Lettre aux membres et amis de la Confrérie Royale - pour le 25 janvier 2018.
Il faisait froid, ce tragique matin de janvier 1793
Edward Matthew Ward, The Royal Family of France in the Temple, 1851, Magdalen College, Oxford, détail.
Il faisait froid, ce tragique matin de janvier 1793, lorsque le valet de chambre Cléry alluma un modeste feu dans une cheminée de cette humide et vieille bâtisse qu’était la prison du Temple. Derrière les rideaux du lit de la chambre, un homme terminait son repos nocturne. S’engagea alors un court et semble-t-il anodin dialogue entre le captif et son valet :
- Cinq heures sont-elles sonnées ?
- Sire, elles le sont à plusieurs horloges, mais pas encore à la pendule.
- J’ai bien dormi, j’en avais besoin, la journée d’hier m’avait fatigué. Où est Monsieur de Firmont ?
- Sur mon lit.
- Et vous ? où avez-vous dormi?
- Sur cette chaise.
- J’en suis fâché.
- Ah, Sire, puis-je penser à moi dans ce moment ?
Ce bref échange n’est pas le plus connu, ni le plus éloquent dialogue de cette tragique matinée du 21 janvier 1793. Le captif, c’est Louis XVI, le roi très-chrétien, le roi déchu de ses fonctions par une minorité de petits bourgeois et agitateurs avides de pouvoir et de sang, le roi captif de son peuple, d’un peuple qui s’est engagé dans cette spirale infernale dont nul n’aurait pu imaginer, quelques années plus tôt, les épouvantables effets. Monsieur de Firmont, c’est son aumônier, un prêtre réfractaire d’origine irlandaise, l’abbé Edgeworth. Jean-Baptiste Cléry, c’est le fidèle parmi les fidèles, ancien valet de chambre du duc de Normandie, depuis devenu le Dauphin, lui aussi incarcéré avec ses parents, sa sœur et sa tante, dans la maudite tour du Temple. Cléry fut l’auteur de ce Journal de ce qui s’est passé à la tour du Temple pendant la captivité de Louis XVI, publié à Londres en 1798, témoignage unique en son genre de la vie du Roi-Martyr avant son assassinat.
La rapide discussion que nous avons rapportée résume finalement tout de cet évènement qui constitue inexorablement une rupture dans l’histoire de la France, dans cette histoire bâtie sur l’alliance entre le Trône et l’Autel, entre le principe monarchique et la foi catholique. Une alliance consacrée dans les fonts baptismaux de Reims, lors du baptême de Clovis, près de treize siècles plus tôt.
« Cinq heures ont-elles sonné ? »
La première question du Roi très-chrétien est on ne peut plus ordinaire. Il demande l’heure, comme son valet la lui annonçait chaque matin, dans la chambre d’apparat du château de Versailles : « Sire, il est huit heures. » Mais cette fois-ci, le roi pose la question. Il sait qu’il doit se lever plus tôt que prévu, pour se préparer spirituellement à son exaltation, non pas sur un trône, mais sur l’échafaud, qui pour lui sera le trône de la gloire, comme la croix des voleurs le fut pour le Christ. Louis XVI est prêt, fin prêt. Depuis le 10 août 1792, où il fut déchu de ses fonctions ; depuis le 22 septembre, lorsque la Convention abolit la monarchie ; depuis le 11 décembre, quand les fanatiques Chaumette et Santerre, sont venus le chercher au Temple pour son premier interrogatoire devant ces messieurs de la Convention. Depuis la veille surtout, 20 janvier, lorsque 361 députés ont voté pour la mort sans conditions, contre 360 autres. À une voix près ! Le triomphe de la démocratie, ou plutôt de la manipulation. Le totalitarisme en marche.
Cinq heures ont donc sonné. Louis sait qu’il va mourir, dans quelques heures. Il a fait ses adieux la veille à sa famille. Il va se préparer à la mort en se recommandant à Dieu. Il va entendre la sainte Messe qui lui apportera le plus grand réconfort pour un condamné. Et surtout pour un innocent envoyé à la mort.
Cinq heures ont sonné. Louis est en paix avec lui-même. Il sait qu’il doit mourir, pour que son sang scelle un jour, un jour lointain peut-être, de nouveau le pacte qu’on aurait jadis cru éternel entre Dieu et la terre de France. Il sait qu’il doit se préparer au sacrifice d’agréable odeur pour que les grâces descendent un jour de nouveau sur ce royaume, sur ce peuple, sur ces sujets ingrats pour certains, faibles pour d’autres, qui n’ont rien osé faire pour désamorcer la bombe qui allait briser durablement la vraie identité de la France. Et il prie Dieu pour que ce sang qu’il va bientôt répandre ne retombe jamais sur la France en malédictions et vengeances du Ciel.
Mais ces cinq heures n’ont pas encore sonné à la pendule de la chambre royale. Petit retard technique sans doute, mais aussi signe du Ciel, car si on ne faisait pas hier attendre le roi, aujourd’hui le roi ne fait attendre personne, certainement pas Dieu, même si le temps devait s’interrompre sur son horloge. La pendule lui a joué un tour, mais Louis ne s’est pas laissé prendre. Dieu l’appelle au sacrifice. Ecce, adsum. Me voici, Seigneur.
J’ai bien dormi, j’en avais besoin, la journée d’hier m’avait fatigué.
Louis XVI a pu jouir de quelques heures de répit, d’apaisement, après les vexations et le harcèlement moral dont, depuis plusieurs jours, il fut victime de la part des censeurs de la Convention. Comme le Christ sous le poids de la Croix, sur le chemin du Calvaire, le lieutenant de Dieu sur terre pouvait ployer sous le fardeau de cet inique procès. Les derniers portraits du souverain, tracés à la va-vite dans sa prison ou à l’assemblée par tel ou tel artiste, à l’exemple du célèbre fusain de Joseph Ducreux, nous révèlent un prince vieilli, épuisé, marqué par la souffrance, et surtout par deux souffrances : la séparation définitive de sa femme et de ses enfants, imposée par les tenants des prétendus droits de l’homme, mais surtout le fait d’avoir été accusé d’avoir répandu le sang de son peuple.
Joseph Ducreux, Louis XVI, vers 1792, Musée Carnavalet.
Malgré tout ce fardeau moral, Louis a bien dormi. Parce qu’il a la conscience tranquille. Il sait que tout est consommé, que Dieu l’appelle, que la Providence en a décidé ainsi, pour un plus grand bien, sans doute encore impalpable, un plus grand bien dessiné dans le mystère divin.
La nuit fut bonne. Il a pu reprendre des forces pour se présenter devant son Créateur et pour manifester au public, avec honneur, la grandeur et la noblesse de son âme et de cette dignité unique inscrite en elle par l’Esprit Saint, au jour de son sacre, le 11 juin 1775. Grandeur et noblesse. Des vertus oubliées depuis 1789, mais des vertus qu’un roi ne peut égarer dans l’abîme des révolutions politiques sans se renier lui-même. Il n’est plus roi sur le papier, mais il reste le roi, par la grâce de Dieu. Il est né pour être roi, il a été fait roi par la mort de son aïeul Louis XV et par l’onction du sacre, il doit donc mourir en roi, en s’élevant ultimement sur un trône de souffrance qui sera aussi un trône d’amour, l’amour d’un roi incompris pour son peuple.
Où est Monsieur de Firmont ?
Sa première préoccupation, en ce froid matin de janvier, est de savoir où se trouve son aumônier. Louis est toujours le Fils aîné de l’Église, l’héritier des eaux sacrées de Reims et le descendant de saint Louis, n’en déplaise aux vociférateurs de 92. Chaque matin, à son réveil, le Roi pensait d’abord à Dieu. La stricte étiquette imposée par Louis XIV avait clairement mis en évidence cette priorité. À peine éveillé, le souverain, après s’être signé avec l’eau bénite, récitait dans son lit, assisté par son premier aumônier, l’office du Saint-Esprit, en qualité de grand-maître de l’Ordre royal dédié à la troisième Personne de la sainte Trinité.
Ce matin du 21 janvier, une légère entorse est faite à l’antique protocole. C’est par la sainte Messe que Louis va commencer sa journée, son ultime journée. Le bon abbé Edgeworth, dit de Firmont, ancien aumônier de Madame Élisabeth, sœur du Roi, avait reçu l’agrément de la Convention pour assister le souverain dans ses derniers moments. Il l’accompagnera jusqu’à l’échafaud où il prononça, quelques secondes avant la chute du fatal couperet, ces mots figés dans l’éternité : « Fils de saint Louis, montez au Ciel ! »
Autrefois, la messe était au cœur de la journée du souverain. En ce jour, elle commence sa dernière journée, car elle est le véritable tremplin qui le conduira dans son éternité. La profonde foi eucharistique du Roi-Martyr est un témoignage essentiel, sans lequel nous ne pouvons comprendre la monarchie française, sans lequel nous ne pouvons comprendre l’inaliénable catholicité du regnum Francorum, sans lequel la pensée monarchiste serait vaine et fausse.
« Dieu premier servi » est la devise royale par excellence. Louis XVI l’a faite sienne tout au long de son règne. Jusqu’au bout.
Et vous ? où avez-vous dormi ? Sur cette chaise. J’en suis fâché.
L’échange se poursuit dans une apparente banalité. Et pourtant, de tels mots d’un roi devraient faire réfléchir. Le roi de France, qui va bientôt être remis entre les mains de ses bourreaux, se préoccupe d’abord de la santé et du bien-être de ses serviteurs. Le pauvre Cléry a cédé son lit au confesseur. Louis regrette l’inconfort qu’il a pris au cours de cette funeste nuit. « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » enseignait le Christ (Mt XXIII, 11). Ah, que ces paroles avaient du sens dans l’antique monarchie très chrétienne ! Ah, qu’elles avaient du sens dans la vie spirituelle de Louis XVI, spécialement en ce moment à la fois de tristesse et de bénédiction !
Serviteur de son peuple, il avait promis de l’être au jour de son sacre. Il l’a été tout au long de son règne. Il est conscient qu’il doit le rester jusqu’au bout, malgré les ingratitudes et les mépris dont tant de ses sujets l’ont abreuvé. Des opprobres subies à l’images de celles subies par le Sacré-Cœur. Le roi de France ne pouvait pas ne pas en être conscient, lui qui avait rédigé, un an plus tôt, un acte de consécration de sa famille, de sa Couronne et de son royaume au Cœur de Jésus.
Louis XVI est le père de ses sujets. Il l’a manifesté à de nombreuses reprises au cours de son règne. Il le manifeste enfin par cette ultime délicatesse à l’égard de Cléry. Une attention d’une simplicité presque banale, mais d’une transcendance incontestable en ces minutes où le cours de l’histoire s’est comme ralenti sur le lieu du Temple.
Louis Hersent, Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788, 1817, Châteaux de Versailles et de Trianon.
Ah, Sire, puis-je penser à moi dans ce moment ?
La réponse de Cléry est, j’oserai dire, notre participation commémorative à cette tragique journée du 21 janvier 1793. Le serviteur fidèle est à la fois conscient de l’incomparable condescendance de son maître, mais aussi, en même temps, de son inaliénable dignité. Il va bientôt perdre un maître qui s’est révélé être un ami, mais surtout un roi, son roi, le Roi. Aucun calcul, aucun effet oratoire, aucun artifice de rhétorique dans cette réponse interrogative du valet de chambre. Puis-je m’enterrer dans mon confort et mon individualisme alors qu’une mort injuste va frapper celui qui incarne le bien commun de mon pays ? La compassion de Cléry est le modèle de notre propre compassion.
En commémorant chaque année la naissance au Ciel du Roi-Martyr, les Français qui font mémoire – parce qu’ils ont osé garder la mémoire face au mémoricide – se détournent de l’individualisme qui ronge notre triste société pour se tourner vers le bien commun de leur patrie. En imitant Cléry : « Puis-je penser à moi chaque 21 janvier ? », nous ne faisons pas que célébrer matériellement un évènement du passé, une action révolue. Nous ne sommes pas non plus des nostalgiques d’une époque dépassée. Nous ne tombons pas non plus dans la dialectique du « Plus jamais çà ». Au contraire, nous « faisons mémoire ». Nous manifestons notre attachement au lien impérissable qui unit le Trône et l’Autel. Nous espérons du fond de notre cœur le rétablissement de ce lien, en le confiant à la volonté de la Providence, par nos prières et nos sacrifices. Nous voulons que le sacrifice du Roi-Martyr soit enfin considéré comme un évènement « national », qui scelle de nouveau l’unité du peuple de France, en rétablissant la vérité historique sur cette période brutale qui a bouleversé l’histoire de notre pays et du monde, et en revenant aux fondamentaux de la loi divine et naturelle, contre lesquels tous les enfers sont déchaînés depuis tant d’années, et surtout depuis cette tragique et froide matinée de janvier 1793.
Henri-Pierre Danloux, Louis XVI écrivant son testament à la tour du Temple le 20 janvier 1793, 1795, Châteaux de Versailles et Trianon.
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